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Tribune : Appréhender la place du territoire dans une dynamique de prévention

La Fonda

La prise en compte des nouveaux défis liés à la longévité peut constituer un atout pour développer des politiques publiques de santé inclusives répondant aux particularités de l'ensemble des générations, notamment dans une perspective de prévention.

La France vieillit, nos sociétés développées comptent de plus en plus de personnes avançant en âge et cette proportion au sein de la population s’accroit. Le vieillissement de la population participe à l'une des grandes transitions contemporaines : la transition démographique. Alors que les 60 ans ou plus ne représentaient que 16,1 % de la population française en 1946, ils en représentent désormais 26,2 % et 32% en 2050. Ce phénomène démographique durable, qui s’illustre à la fois dans une augmentation de la part des + de 60 ans dans la population totale mais également par leur nombre croissant, vient accentuer les autres évolutions sociales, familiales et territoriales qui marquent notre siècle.

Dans ce contexte, les territoires sont les premiers impactés par les changements observés au sein de leur population. Le territoire de grande proximité (le village, le quartier, la rue…), en tant que lieu de vie d’une personne, est un échelon essentiel qui doit être repensé dans l’ensemble de ses composantes afin de répondre aux enjeux de la longévité.

La prise en compte des nouveaux défis liés à la longévité peut ainsi constituer un atout pour développer des politiques publiques de santé inclusives répondant aux particularités de l'ensemble des générations, notamment dans une perspective de prévention.

Vieillissement individuel et transformations sociétales

L'avancée en âge complexifie le rapport à notre environnement bâti et social. Ainsi les obstacles peuvent s’insinuer dans ce qui fait notre vie au quotidien : notre domicile, nos moyens de déplacements, la capacité à participer activement à une vie sociale … Ce constat, issu de la parole des aînés eux-mêmes, s'inscrit dans une double dimension : celle des évolutions individuelles liées à la vieillesse et celle des transformations sociétales qui peuvent exclure un certain nombre de groupes sociaux. En effet, la morphologie même de certains territoires accentue par essence les incapacités qui peuvent émerger à un niveau individuel avec l’avancée en âge : éloignement géographique des commerces et des services de soins, fonctionnement de territoires tournés autours de la voiture avec peu d’alternatives en termes de transports en commun (ex : typologie des zones rurales, des banlieues résidentielles issues notamment de l’urbanisme des années 70, ou encore des quartiers de centre-ville désertés par des activités commerçantes accessibles à pied …). C’est le terreau d’un isolement social des personnes âgées, que l’on observe donc aussi bien en ville que dans les campagnes ou les zones péri-urbaines.

« On est toujours le vieux d’un autre ». Cet adage populaire illustre le fait qu’au-delà d’un contexte territorial, la définition du processus de vieillissement d’une personne ne peut se restreindre à l'apparition de handicaps. En effet, nul besoin de rappeler qu'il n'existe pas d'« âge seuil » à partir duquel l'individu deviendrait « défaillant » ou s’inscrirait dans la catégorie des personnes « dépendantes ». Il n’est donc pas suffisant de raisonner uniquement en termes de ruptures, il faut prendre en compte la dimension du parcours de vie dans sa globalité. En effet, il semble plus pertinent de réfléchir au prisme du processus d'avancée en âge qui peut, aléatoirement, s'accompagner de la survenue d'incapacités plus ou moins rapides (sachant qu'en France, moins de 10 % des personnes de 60 ans ou plus subissent des limitations justifiant la perception de l'Allocation Personnalisée à l'Autonomie). En revanche, on observe quasi-systématiquement une modification du rythme dans l'avancée en âge, corrélé par exemple à la fin de la période d'emploi ou aux premières fragilités physiques qui peuvent amener une modification progressive des comportements quotidiens, dans une visée d'économie d'énergie.

Parallèlement à ces changements vécus à l'échelle individuelle, le monde se transforme et accroît dans le même temps la vulnérabilité des aînés à travers la modification du contexte dans lequel ils évoluent. En effet, alors même que chacun connaît des changements individuels liés à son processus de développement et plus particulièrement d'avancée en âge, de nouveaux défis et changements sociétaux interviennent et tendent à accentuer une forme de décalage entre la personne vieillissante et ce qui l'entoure, menant quelquefois jusqu'à l'exclusion : digitalisation de la société, complexité des nouveaux schémas de déplacement multimodaux …

En cela, le territoire a une place prédominante : en fonction des politiques publiques qui sont menées, il peut constituer un élément rupteur ou un support pour l'individu. En effet, un environnement - social comme bâti - adapté aux spécificités de l'ensemble des générations et accompagnant les transitions de vie peut permettre à l'individu vieillissant de trouver des solutions alternatives qui lui permettront de rester acteur et citoyen, sans subir. A l'inverse, en n'intégrant pas leurs spécificités et en les contraignant à une adaptation aux nouveaux dispositifs, quelquefois sans autre choix et sans accompagnement, le territoire peut accentuer les risques de rupture.

La prévention : un incontournable au bénéfice de la santé des aînés

Les grandes organisations internationales et le monde de la recherche ont unanimement démontré l'influence du vieillissement actif sur l'espérance de vie en bonne santé. Ainsi, en complément des questionnements actuels autour de la prise en charge de la perte d'autonomie qui sont entièrement légitimes, il reste fondamental d'insister sur la place de la prévention pour éviter autant que possible le recours au curatif. Néanmoins, la prévention peine encore à être financée en France en dehors des Conférences des financeurs, qui accompagnent localement la mise en place d'un certain nombre d'actions souvent pertinentes et innovantes mais néanmoins trop souvent restreintes au domaine médico-social puisqu'il s'agit du champ d'action des acteurs qui les composent.

Pourtant, l'adaptation de l'habitat, des voiries, des formes de mobilités au vieillissement devrait pouvoir s'inscrire pleinement dans une politique de prévention, dans le sens où il s'agit là d'une façon de permettre aux individus de continuer à être actifs et autonomes dans leur territoire de vie tout au long de leur avancée en âge. En cela, les silos persistent dans l'élaboration des politiques publiques malgré des évolutions notables dans le domaine. C'est d'ailleurs dans cet esprit que s'inscrivent, entre autres, les « Villes Amies des Aînés » françaises, dont l'exigence de transversalité des politiques publiques dans la construction d’un territoire inclusif pour toutes les générations nécessite un engagement de l'ensemble des acteurs présents dans les territoires - publics, privés et associatifs - dans toute leur diversité.

Cette vision plus large des politiques de prévention répond en partie à la nécessité de se décaler d'un point de vue trop souvent centré exclusivement sur la responsabilité individuelle dans les politiques de prévention. S’il est nécessaire d'informer l'ensemble de la population sur les comportements à adopter pour favoriser un vieillissement en bonne santé (notamment à travers l’alimentation, le sport ou le maintien de liens sociaux…), il convient de s'éloigner de l'injonction au « bien vieillir » qui, souvent culpabilisante, ne prend pas suffisamment en considération la diversité des parcours de vie.

En effet, la santé dans le grand âge ne peut être pensée sans prise en compte de la notion de « risques cumulatifs » : à titre d'exemple, l'éloignement géographique des services de santé en milieu rural constitue un risque à part entière pour l'ensemble de la population, mais devient d'autant plus problématique dans l'avancée en âge qu’il s'accompagne d'un accroissement des risques d'apparition de pathologies. Il en est de même avec d'autres critères qui, pris isolément, ont été pointés par les chercheurs comme des facteurs réduisant sensiblement les probabilités de vieillissement en bonne santé, et qui peuvent constituer de véritables menaces lorsqu'ils se conjuguent. Ainsi, la pauvreté émerge selon de très nombreuses études comme étant la cause principale des inégalités de santé, sachant qu'elle agit statistiquement plus fréquemment sur les déterminants de santé (le tabagisme, la malnutrition, etc.) et sur l'exposition à divers facteurs de risque environnementaux.

Par ailleurs, l’environnement social et familial d’une personne vieillissante est aujourd’hui reconnu comme jouant un rôle prépondérant dans l’accompagnement du vieillissement. Plus couramment désigné sous le terme « d’aidants familiaux », cette solidarité intergénérationnelle est mise à l’épreuve par de nombreux enjeux : éloignement géographique des familles, cumul avec une vie professionnelle, fatigue physique et psychologique des accompagnants…

La santé inclusive : un levier pour répondre aux grands défis du XXIèsiècle

La construction de politiques publiques locales non stigmatisantes et accueillantes à l'égard de toutes les générations constitue un levier important en faveur de la santé telle qu'elle est définie par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), c'est-à-dire un bien-être physique, mental et social. Considérant qu'une « Ville amie des aînés » est une ville amie de tous les âges, on comprend aisément qu'il s'agit, en plus de favoriser la qualité de vie des plus âgés, de répondre aux besoins et désirs de différents groupes sociaux éprouvant également diverses situations de vulnérabilité.

Plus encore, l'adaptation des territoires au vieillissement constitue une opportunité de repenser l'échelle locale. A travers cette évolution de la prise en compte des plus âgés dans les territoires de proximité, il s'agit en effet de réhumaniser les services de proximité et de revaloriser l'accompagnement humain qui apparaît comme une réponse incontournable pour soutenir l'appropriation des transformations sociétales telles que la transition numérique.

De la même manière, le ralentissement du rythme dans une perspective d'économie des forces ainsi que le rapport aux services de proximité et aux circuits courts qui s'observent chez les générations âgées tendent à effectuer un rapprochement entre défi démographique et défi écologique. En cela, le développement durable ne devrait-il pas être également pensé en lien avec la longévité ? Nul doute que les réponses à ces deux défis majeurs gagneraient à être plus systématiquement croisées, au bénéfice des aînés comme de l'ensemble des classes d'âges.

Présentation des auteurs

Angélique Giacomini est Déléguée générale adjointe du Réseau Francophone des Villes amies des Ainés, en charge de la formation et de la recherche. Le Réseau Francophone des Villes Amies des Aînés (RFVAA), créé en 2012, est la seule structure reconnue comme étant affiliée au réseau mondial par l'Organisation mondiale de la santé pour la France. Après sept années d'existence, l'association rassemble 144 mairies et intercommunalités engagées dans cette démarche d'amélioration de la bienveillance des villes à l'égard de tous les âges, recouvrant ainsi 12 millions d'habitants français.

Experte en développement local, passionnée par la sociologie des générations, les seniors et les enjeux du vieillissement, Elodie Llobet dirige le cabinet d’études Generacio.

Le cabinet Generacio est spécialisé dans l’accompagnement les politiques publiques locales dans la prise en compte des enjeux du vieillissement, la compréhension des publics seniors et des dynamiques intergénérationnelles.